Je pose à peine le pied sur le sol thaïlandais, que la vague manifestante m’emporte. Les drapeaux nationaux s’agitent, les sifflets hurlent en réponse aux tambours pendant qu’un couple descendant du royaume de Siam me fait grimper dans un tuk-tuk. Nous fendons la foule à la vitesse de l’… Escargot. Ils me nouent un bracelet aux couleurs bleu-blanc-rouge (de la France ou de la Thaïlande ?!) dans une ambiance s’apparentant plus à notre 14 juillet festif qu’au jour où la tête du roi tomba. Nous sommes loin des révolutions sanguinaires. D’ailleurs si la première ministre thaïlandaise doit rendre son tablier, çà ne sera pas la gorge tranchée, pourtant la haine du peuple thaï pour cette dame n’a d’égale que l’amour qu’il porte à son roi. Les opposants siègent depuis des semaines sur l’avenue centrale où trône le monument de la démocratie. Les familles prennent place à tour de rôle pour monopoliser le centre ville. Je suis en présence d’un « street sitting » sans fin. Des chapiteaux ont été aménagés, des stands de nourritures ravitaillent le peuple affamé de justice. Chaque soir, comme un symbole sur le monument de la démocratie, les leaders politiques de l’opposition haranguent une foule conquise. Les salves d’applaudissement m’hérissent le poil dans une clameur pacifique étouffante. Je suis déstabilisé par ce peuple thaïlandais remonté comme une pendule mais qui reste sage comme une image. Nous sommes loin des clichés habituels sur les manifestations.
Avec mon passeport français, en tant qu’héritier des révolutionnaires romantiques les plus connus au monde, je suis arrêté à chaque stand pour donner mon avis sur leur situation. Le rayonnement de la France semble infini sur l’horizon mondial, elle est encore vue comme le modèle à suivre pour défendre ses droits… (S’ils savaient que chez nous, les Lumières ne sont plus qu’une ombre nébuleuse, ils comprendraient mieux ma réserve sur cette lutte qui n’est pas la mienne).
De toute façon, je ne tiens pas à laisser trop d’énergie et d’influx nerveux avant le combat. Cependant lors de cette grande mobilisation pacifique, un dernier détail me choque, les familles sont réunies mais il n’y a pas de jeunes. Très rapidement, je comprends qu’ils sont dans la rue parallèle, la mythique Khaosan Road. Ils sont entrain d’appâter le chaland nord américain, qui se laisse « volontairement » duper pour abreuver son égo d’un sentiment de toute puissance. Dans cette rue où la fête n’arrête jamais, seules les jupes sont courtes. Pour parodier Brel « Çà fait deux jours, çà fait deux nuits qu’au-delà du combat qui bouillonne, appelle, appelle la None. ». Je me rends compte que je suis pris dans ce tourbillon de superficialité qui ne m’apporte rien d’autre que la pire des préparations d’avant match.
Je décide de fuir cette mascarade pour me réfugier en banlieue dans le cabinet anti-dopage de ce je croyais être la none qui en réalité s’appelle Nong. Un habitant du quartier se prend pour mon garde du corps et m’accompagne jusqu’à la porte. « Knock ! Knock ! Mais pas encore out », la contrôleuse Nong est surprise de me voir frapper. Mais de nous deux, le plus surpris c’est… moi ! C’est une première dans l’histoire du sport. Je reste ébahis devant la porte et je me demande si le contrôle ne devrait pas plutôt s’appliquer à… la contrôleuse. Il est onze heures du matin, lorsque se tient devant moi une fille totalement ivre qui parle de régime à grande lampée de bière. C’est dans cette chambre où jonchent d’innombrables cadavre de Chang que la nuit j’autorise mon œil gauche à se déconnecter pendant que le droit reste ouvert. Dans ma tête la paranoïa bat son plein. J’ai la crainte permanente de Nong se jetant sur moi dans sa crise d’existentialisme pas maitrisée.
Pendant la pesée officielle d’avant match, le regard défiant le vide, l’aiguille de la balance est sans équivoque… je ne fais pas le poids ! Je me rue dans les couloirs de la ville où la chaleur accablante ne gâche pas les retrouvailles avec mes meilleurs alliés : Les innombrables stands de nourriture à Bangkok ! Des soupes épicées aux nouilles improbables, des brochettes caramélisées jusqu’aux fruits savoureux, à n’importe quelle heure de la journée, Bangkok est une ville gourmande et délicieuse. Avec du « sticky rice » toujours à portée de main, je me gave comme un canard les baguettes au coin du bec.
Pour me familiariser avec la légende thaïlandaise, je décide d’observer quelques uns des combattants de sa fameuse boxe. Je pars en direction du MBK, mais à force de naviguer à vue, je suis perdu. Il me reste quelques minutes avant le retentissement du gong déclenchant l’ouverture du combat. Désemparé je tourne en rond comme une boussole qui a perdu le nord jusqu’à ce signe de la Providence… Deux hôtesses de l’air me récupèrent en classe VIP pour me déposer au pied du ring.
DONNNNNG !
Le combat est un spectacle, il est à l’image de ce pays et de mes premières impressions, un show pour touriste. J’en veux pour preuve les boxeurs posant avec les passants avant de monter sur la « scène ?! ». Tout cela manque cruellement de saveur contrairement aux bananes qui jonchent les stands de fruit. L’avantage d’avoir de si bon fruit… Personne n’a la stupidité de les gaspiller en les jetant sur le ring.
Le lendemain, dans ma quête d’histoire et de culture, je joue la carte royale, celle du grand palais. Nous ne sommes pas lundi, mais je suis recalé à l’entrée pour un short trop court. Les vendeurs de pantalon me sautent dessus dans un élan de sympathie intéressée qui n’est pas sans me rappeler les joies indiennes. Je prends mes jambes nues à mon cou pour fuir le cirque de ce marché ambulant aux tarifs excessifs. Je saute dans un bateau qui me conduit au sud de la ville en compagnie de Martha, une portugaise à la recherche d’une Chine qu’elle n’a pas pu visiter. Nous flottons sur le fleuve de Chao Praya, célèbre pour ses marchés flottants qu’on ne trouve plus guère à Bangkok. Nous amarrons dans le quartier chinois, comme ma partenaire est une bonne joueuse, nous faisons beaucoup d’expériences culinaires, dont le « Bubble Tea » qui ne me laissera pas un souvenir impérissable. Je crois qu’une grande part de la magie des voyages se trouve dans la nourriture. Voyager, c’est surtout manger, tester et prier pour que son estomac accepte la variété.
Je m’engage dans de petits temples afin de m’offrir le luxe d’un espace silencieux pour une digestion sereine sous la protection de Buddha. Après cette méditation bienvenue, je me dirige vers le « Golden Mount » pour un dernier conseil du ciel… Trop tard, il est fermé, mais je rencontre Phri Ki un moine qui vit depuis dix-huit ans autour du temple. Entre deux coups d’œil sur son Iphone, il adore parler de football. Il connait le football européen sur le bout de ses doigts, mais lorsque j’essaye d’apprendre le nom de quelques joueurs thaïlandais, il n’en connait pas plus que moi et ne s’y intéresse pas. La Thaïlande vit au rythme de la Premiere League, avec Rooney et Gerrard adulés comme Zidane un soir de juillet 1998. La jeunesse de Bangkok rêve de voir sa capitale devenir un mix londo-new yorkais.
Pour en revenir à Mickey, la porte s’ouvre, mon pantalon est assez long pour visiter les charmes du palais royal. On se croirait à Disneyland, dans une décoration du toujours plus qui rappelle les restaurant chinois de la guillotière, mais attention ici c’est sérieux. Qu’on ne s’y trompe pas, je recommande cette visite malgré son prix et ses peintures d’orées « too much ». Certaines pièces sont saisissantes à tel point que je suis resté en extase devant le buddha d’émeraude qui illumine la pièce recouverte d’or. Comme depuis le début de mon séjour à Bangkok, la préparation est semée d’embuche et de contretemps, cette fois il s’agit de l’appareil photo que j’ai oublié dans ma chambre. Je n’ai donc pas d’image à vous soumettre. Voilà au moins une bonne raison d’aller vérifier mes dires et la beauté de ce petit buddha par vous-même.
Pour me mettre en condition avant le combat final : un weekend à Bangkok. Je rends visite aux kinés locales. Je m’offre un massage des pieds et des épaules. Wahouuuuuuuuuuu ! Je comprends immédiatement comment la foudre peut s’abattre sur quelqu’un, le rendre accroc à ce pays aux mains si douces, sensuelles et fermes à la fois. Mon sac sur le dos, je survole littéralement la ville à bord du Skytrain dans une atmosphère de cinquième élément.
Je m’extirpe de la rame dans le quartier d’affaire de Silom. Pendant que je lève la tête pour apercevoir le bout de ses buildings, c’est un homme frêle à la démarche déglinguée qui se présente à moi sous le pseudonyme de JOB. Il s’agit de mon futur hôte et adversaire. Quelques battements d’ailes de sa part me donnent la confirmation qu’il est gay. Je ne fus pas plus surpris d’apprendre qu’il joue du violon, et s’il essaye de voler comme un papillon sur sa mélodie, je reste sur mes gardes car je ne veux pas me faire piquer par une abeille. L’ambiance devient glaciale lorsqu’il me demande de retirer mon bracelet. C’est un militaire et tout ce peuple dans la rue lui donne de l’urticaire. Quand il m’annonce çà dans un skybar sur le toit d’une immense tour où la jeunesse dorée de Bangkok joue aux apprentis stars… j’en tombe des nues dans les nues. Le plus grand knock down de l’histoire de la boxe, une chute vertigineuse d’une cinquantaine d’étage qui me fait atterrir dans le quartier de Patpong au pied de l’immeuble, autrement dit : je suis à terre dans le quartier rouge de la capitale thaïlandaise. La vision de la sexualité dans ce pays mériterait un article à elle seule, n’ayez crainte j’en parlerai dans de futurs billets du blog. L’arbitre n’a pas eu le temps de commencer le décompte que mon adversaire me fait tourner aux quatre coins du ring de Patpong, des étudiantes de douze ans aux vieux pervers, je garde mon cap. Les tentatives de coup bas de JOB, n’y font rien, je ne change pas de bord, les mains hautes ma défense est présente. Je donne quelques répliques m’offrant l’illusion de marquer des points sur mon adversaire lorsque…
Comme tous les jours à 8h et 18h, l’hymne nationale retentit. Le combat est fini. En attendant le verdict je me rue dans le marché de Chatuchak afin d’acheter quelques cadeaux de noël pour la famille.
Bangkok:
@Zolive : Salut le king of the Congo !
Je crois que c’est le temps qui finit par me vaincre, je n’arrive plus à le prendre à revers pour continuer d’écrire. Grrr!
J’espère que tout roule pour toi et ta famille, quant à moi, je reviens dès aujourd’hui pour relancer le blog.
A très vite.
Jolie combat en 5 reprises.
Continues bien Kevin.