Malheureusement, ce matin, les astres ne sont pas avec nous. C’est la désillusion pour la foule qui s’est amassée autour de l’objet vénéré. Malgré la roupie glissée par chacun, la balance de la station de bus ne fonctionne pas. Quel déception pour les indiens ! Heureusement pour eux, leur attention est vite détournée quand je m’approche comme un ignorant. Peu habitué à voir des touristes trainés dans la gare locale, ils me dévisagent comme une bête de foire, jusqu’à oublier le disfonctionnement de la balance. Si je peux leur servir à quelque chose, c’est avec plaisir que j’ajoute un sourire au coin de mes lèvres malgré l’heure matinale. Après un passage au guichet qui m’annonce que l’ouverture de la billetterie se fait uniquement quinze minutes avant le départ du bus, je me jette un grand verre d’eau fraîche sur le visage pour réveiller la bête. Le combat va être féroce pour décrocher le sésame. Çà n’a pas manqué ! Foire d’empoigne, gueulante et retards furent au rendez vous ! Assis dans le bus, j’en viens à croire qu’ils aiment vraiment le bordel. Si tout se passe bien, ils sont perdus, sans repères, alors que s’ils peuvent crier, se bagarrer, ils doivent se sentir vivant et tout va mieux. Le peuple indien est très croyant, et notamment dans la réincarnation pour les hindouistes, mais paradoxalement j’ai l’intime conviction qu’il s’agit d’une population effrayée par la mort. Toutes ces cérémonies qu’ils font dans la crainte de ce qu’il pourrait se passer si elles ne sont pas célébrées. Le bruit permanent qui règne dans le pays est un moyen de se convaincre que la vie est toujours là…
Quant à moi, au milieu de ce joyeux bazar, petit à petit je trouve mes marques et je ne suis même plus étonné lorsque le bus double un chameau sur l’autoroute. Je conduis mes pensées qui me mènent sur la voie de la compréhension des grandes âmes charitables en Inde (Mère Teresa, Gandhi, etc.…). Les indiens sont tellement nombreux, miséreux pour la plupart d’entre eux, mais surtout indifférent à leur sort, un égoïsme très particulier. Donc en les aidants, pas de médaille à espérer, au mieux vous recevrez un sourire, au pire une claque. Et tout le monde s’en contre fiche. L’inde est le terrain de jeu parfait pour qui veut assouvir ses envies de générosité, nettoyer sa culpabilité profonde sans besoin de reconnaissance pour ses actes bienveillants. Si vous vous sentez l’âme d’un nouveau Jésus, à prêcher la bonne parole tout en recevant des coups pour çà, l’Inde est à vous…
Sur ces pensées, le bus me dépose au milieu d’une forêt, bienvenue à Ranakpur ! Je visite le sublime temple Jaïn. Malgré sa beauté, je n’arrive pas à m’enlever de l’esprit cette question qui me taraude… Comment profiter au maximum de Diwali lorsqu’on est plongé au milieu de nulle part ? En effet, c’est la grande fête dans tous le pays. La version pour faire simple de Kévin : c’est le jour de l’an mélangé à la fête des lumières de Lyon, le tout un 14 juillet pour les feux d’artifices. La version officielle d’après wikipédia : Diwali, c’est la fête des lumières, à l’occasion de laquelle on s’offre des cadeaux et tire des feux d’artifice. Les festivités durent cinq jours, dont le troisième, le plus important, est consacré à la déesse Lakshmi, déesse de la Fortune, et de la richesse inhérente ou de l’abondance. Ce troisième jour est aussi le dernier de l’année du calendrier hindou Vikram, utilisé dans le nord de l’Inde. Le lendemain, début de la nouvelle année hindoue, est connu sous le nom d’Annakut dans le nord de l’Inde. Et bien évidement aujourd’hui, nous sommes dans le nord du pays et… le fameux troisième jour du festival.
Depuis le temple, pas de taxi, pas de rickshaw, alors je m’en vais à pied à la recherche de mon hôtel. C’était sans compter sur un motard qui s’arrête et se propose de me déposer trois kilomètres plus loin. Happy Diwali ! çà fait du bien à la tête et… aux jambes ! Sur le chemin nous croisons pléthores de singes qui nous laissent circuler sagement assis au bord de la route comme des humains. Joli miroir de nous même ! Et dans la glace de la vie indienne, on trouve des gens sympathiques, ceux de l’hôtel (bien qu’un peu cher) sont exceptionnels. Je suis le seul client (comme toujours en ces périodes de célébration, cf : http://www.tictacaroundtheworld.fr/?p=1227), alors ils m’invitent à participer au préparatif du festival. Tout en plaisantant, nous roulons le coton qui sert de mèche à déposer partout pour illuminer l’hôtel. Chanceux d’avoir refusé un verre d’alcool, je peux participer à la prière avec le grand père et le sage invité à cette occasion. Je suis béni, Lakshmi, veille sur nous. Mais comme un symbole de la différence avec le Népal, ici, c’est à moi de faire une offrande d’argent à Lakshmi (pour en gagner plus dans l’année à venir). La famille est au grand complet dans l’hôtel, d’ailleurs la petite fille à qui je confie l’appareil photo s’amuse comme une folle. Nous essayons de communiquer ensemble. Pas facile mais très drôle, surtout lorsqu’elle joue les princesses comme les grandes avec son voile et ses souliers surélevés. La soirée se termine avec un énième gâteau indien, délicieux mais terriblement sucrée, pour accompagner les pétards et les feux d’artifices de cette famille qui célèbre Diwali au milieu de la forêt. Je m’en vais souriant mais légèrement choqué de voir que les enfants s’amusent à se balancer des pétards dessus, ce qui a pour effet de… faire rire les adultes. Tout se finira bien à Ranakpur, mais combien d’accidents à Delhi ou ailleurs ?! Peu importe, ce soir, je me sens de plus en plus familier avec ce monde étrange et fascinant qu’est l’Inde !
Ayant quelques heures à tuer avant que le bus ne m’attrape sur le bord de la route pour Udaipur, j’en profite pour aller me balader dans la forêt environnante. Je tombe sur une famille isolée, très pauvre, mais très souriante. Ils me font comprendre sans parler un mot d’anglais que je dois rester un moment avec eux. C’est avec plaisir que j’accepte un thé préparé par les filles de la maison, pendant que le père de famille me montre ses anciennes pièces d’identité. Je suis pétrifié devant le changement d’expression de son visage. Sur les photos, il semble en pleine forme, et les personnes que j’ai à côté de moi, bien que souriantes et vivantes, sont usées par leurs difficiles conditions de vie. L’insalubrité et la pauvreté ont généré beaucoup de malformation dans cette maison. Des excroissances sur les doigts, un œil qui divague chez le fils, une dentition à faire pâlir n’importe quel dentiste. Néanmoins le thé qu’il m’offre et une pure merveille, blindé de sucre et chauffé aux bouses de vaches qu’ils font sécher pour s’en servir comme combustible. Soit dit en passant, du sucre, la famille en mange toute la journée pour survivre. (Explication des malformations ?!). C’est au moment où j’étais prêt à plier bagage que débarque le sage de la veille, il vient déposer le tilak à toute la famille en échange de dix roupies par personne. C’est un très bon business, car même miséreux les gens s’exécutent sans broncher…
Ranakpur: