C’est dans une chaleur étouffante, au bord d’un centre commerciale éloigné d’une dizaine de kilomètres des vestiges d’Ayutthaya que je retrouve le sens de mon voyage : « savoir se débrouiller ». Ici, personne ne parle anglais, et les chauffeurs de tuk-tuk avec leur pancarte plastifiée affichant des prix exorbitants ne m’inspirent pas plus de sympathie que les citadins de Bangkok. C’est donc avec mon sac sur le dos, mes dix doigts et mon accent improbable, que je m’en vais casser les oreilles à des inconnus sortant de la galerie marchande, en leur chantant… Ayuuuuuuuuutthaya ! Un chauffeur de car ne comprenant rien à la langue de Shakespeare mais n’étant pas dépourvu d’hospitalité et de discernement me fait monter avec les locaux dans son bus. Je paye mon trajet douze fois moins cher que le prix annoncé par les pilotes de tuk-tuk et j’arrive à destination.
Pour profiter à merveille de celle qui se fait appeler l’île d’Ayutthaya à cause des trois fleuves qui l’encerclent, je loue un vélo. Je tiens à préciser pour la suite du paragraphe concernant le vélo, je n’ai pris aucun stupéfiant ni même de produits dopants. C’est donc en suivant les conseils du loueur de bicyclettes que je me retrouve en sens inverse sur la voie rapide. Incroyable, un scooter me double également en sens inverse ! Y a-t-il un code de la route sur l’île ?! Toujours est il qu’une fois ces cinq cents mètres de la peur derrière moi, je suis soulagé de retrouver un petit chemin paisible et dans le bon sens. (Pour info, les thaïlandais roulent à gauche). Mais le plus fou commence, je suis acclamé au bord de la route par un éléphant rose ! Je sens que vous avez du mal à me croire, effet de la chaleur ou de la magie, je n’en sais rien mais il était bien là ! Je n’ai pas touché aux Aristochats, pas réveillé Bambi, mais j’ai vu un éléphant rose ! Je stoppe donc ma course effrénée vers Buddha pour photographier mes hallucinations qui n’en sont pas.
Alors, me croyez-vous maintenant ?
A pédaler pendant des heures comme un forcené sur un vélo qui fait plus de bruit qu’un casseur de cailloux, je finis par arriver aux pieds de celui que j’étais venu rencontrer : Buddha. N’ayant pas eu la patience de m’attendre, il a fini par s’allonger dans sa tenue de saison. En effet, les moines l’habillent différemment suivant la période de l’année (mais toujours de jaune/orangé). J’avais peur de le réveiller avec ma bicyclette mais force est de constater qu’il reste impassible aux chants de ses partisans. Pendant que les plus modestes collent une paillette d’or sur un monument en son honneur, d’autres chantent d’une voix nasillarde me rappelant les réveils douloureux du muezzin à Istanbul. Mais lui, stoïque, le regard fermé et rêveur, assis en tailleur ou allongé dans les ruines de son empire, il finit par prendre racine !
C’est au crépuscule que le cœur de la ville s’illumine comme Lyon revêtit ses plus belles lumières le 8 décembre. La tribune est pleine. Je n’ai pas pu avoir accès à l’intérieur du spectacle qui s’arrête le temps de l’hymne nationale. Je profite donc au loin de ces jeux de lumières tout en me promenant dans les stands de poissons frits. On a beau dire… l’habileté des asiatiques n’est pas une légende. Pour s’en convaincre, il suffit de se laisser hypnotiser par cet enfant encore loin de l’adolescence jouant avec sa baguette dans la barbe à papa. Elle est encore plus surprenante car elle semble inaltérable malgré le temps qui passe. L’âge de la retraite a sonné depuis longtemps pour cet homme qui joue des raviolis plus vite que n’importe quel arnaqueur de bonneteau avec ses gobelets et sa balle. Devant la justesse et la précision de ses mains, je me résous à commander un ravioli qui est aussi bon qu’il a été préparé. Si les ruines du palais n’ont plus de couleurs, son argent retrouve de l’odeur, celle d’une magie aux délicieuses saveurs.
Sans m’en rendre compte, je me suis affalé sur le sol de mon dortoir comme la nuit est tombée sur ma belle journée. Allongé dans mes rêves, j’espère y prendre racine, comme ce pauvre buddha qui ne réponds plus de rien, tellement loin mais tellement bien… Malheureusement n’est pas dieu qui veut, et le chant du coq au petit matin finit par me réveiller.
Les paupières lourdes, je sors de l’ile pour un tour sur le marché flottant. C’est très calme et joli, l’endroit idoine pour un réveil en douceur. Il y a peu de touristes, mais je dois avouer que je ne m’attendais pas à cela. En effet, le marché n’a pas lieu sur un amas de barques enchevêtrées mais sur une foule de pilotis fixes sur la rivière. Il n’y a rien d’ambulant ici, et encore moins de magie éphémère… ce qui reste sur la paille, c’est mon vieux chapeau népalais, il est arrivé en fin de vie. Consumé de tous bords il ne ressemble plus à rien, comme mes pieds que je vais soigner par les poissons. Le massage est excellent, çà me chatouille, mais je me sens frais et léger. Je sais par avance que çà va me manquer, alors je me console avec un jus de fruit exotique qui me donne la force de pédaler jusqu’à l’auberge.
J’y passe la soirée avec deux français dont j’ai mangé le nom à défaut de boire leur parole. Ils sont hébergés pour la deuxième fois par les propriétaires de l’établissement. Ils squattent une chambre en échange de quelques coups de main pour la rénovation du lieu. Lors de leur première visite, le dépaysement fut un peu difficile à vivre, alors cette fois ils sont revenus mieux équipés avec la PlayStation dans leur valise remplie de… Ricard. Voyage ?! Le mien attend sagement sur le pied de la gare le coup de klaxon qui doit me faire chavirer vers les folies du nord…
Ayutthaya:
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